1 vendredi / 1 nouvelle – Jour de noces
Cette semaine, c’est Hélène qui m’a proposé une phrase pour la rubrique. Pour tous ceux qui pensent que les réseaux sociaux ne créent pas de liens, coupent les gens de la réalité, Hélène est la preuve du contraire. Elle et moi, on a causé sur Twitter, puis on s’est rencontrées et on est devenues amies. Il peut donc y avoir des ponts entre le virtuel et le réel. Jamais nous ne nous serions croisées sans twitter, jamais je n’aurais eu le bonheur de prendre la route à 5 heures du matin pour rentrer d’Alencon, pour cause d’accouchement qui tombe le SEUL jour qu’il fallait éviter… 😉
La phrase qu’elle propose est la suivante : Elle m’a pris ma place.
Jour de noces
20 juin. La date est la entourée rageusement de plusieurs cercles rouges sur le calendrier. Il y a 6 mois, lorsque j’ai reçu le faire-part, la date me paraissait tellement lointaine. Il pouvait se passer tellement de choses d’ici le mois de juin. J’avoue que j’ai souhaité que ce mariage n’ait pas lieu, qu’il se sépare d’Elle. Pendant les mois qui ont suivi, la vie avait repris son cours. J’avais rangé bien enfouie au fond de ma mémoire cette date fatidique. Et finalement il aura bien lieu ce foutu mariage. La date sur le calendrier en témoigne. Et moi, il va falloir que j’y assiste. Il va falloir que je regarde sans broncher l’homme que j’ai aimé, que j’aime encore en épouser une autre. L’épouser Elle. Celle qui a pris ma place. Et j’en crève.
Notre histoire n’est pas de celle qui a duré des années, pour autant elle a été intense. Tout est allé très vite. Les sentiments que nous ressentions. Les promesses que nous nous étions faites. J’étais seule depuis une dizaine d’années. Je croyais ne plus jamais vivre d’histoire d’amour. Moi, la petite provinciale de 45 ans, divorcée avec deux enfants. Moi, dont la confiance en soi devait friser le 0 sur l’échelle de Richter. Lui, si beau, si sûr de lui. Il m’a regardé comme aucun autre homme avant lui ne l’avait fait. Il a su me redonner confiance, par ses mots, par ses mains, par ses regards.
Tout était tellement parfait. Mais, parce qu’il faut bien qu’il y ait un mais, nous n’avions pas le même âge. Ces années de différence qui au début ne comptaient pas, ont fini par la faire. 12 ans d’écart, on a vu pire. Et puis, à 33 ans, on est adulte, on a une maturité suffisante. Jamais je n’ai eu l’impression de transgresser un interdit. Mais, si je suis honnête, si je fais parler plus fort cette petite voix que je refusais d’entendre, les craintes étaient bien là. Lui, jeune et beau, moi moins jeune, déjà moins femme.
Pourtant, il ne regardait pas les autres filles, celles de son âge, il ne recherchait pas leur compagnie. Nous étions heureux, nous vivions notre histoire sans trop nous poser de questions.
Et puis, il l’a rencontrée. Elle. Le pire c’est qu’il l’a rencontrée chez moi lors d’un diner. Je voulais le présenter officiellement, j’étais amoureuse, je voulais partager ce bonheur avec ceux que j’aime, je voulais que tout le monde le connaisse. Si j’avais su. Si seulement j’avais su. Je me repasse sans cesse le film de ce diner, je me demande à quel moment les choses ont basculé. A quel moment c’est devenu Elle, et plus Moi.
Je ne peux pas lui reprocher d’avoir mené un double jeu, de m’avoir fait espérer. Très vite il m’a avoué qu’Elle lui plaisait. Très vite, il m’a dit qu’ils avaient des sentiments l’un pour l’autre. Aussi vite finalement que les sentiments qui étaient nés entre nous. Sauf que c’est Elle qu’il épouse aujourd’hui et non moi. C’est Elle qui va porter la belle robe. C’est vers Elle qu’il va se retourner, c’est Elle qu’il va regarder remonter l’allée. Et moi, je vais devoir assister à cela, je vais devoir soutenir ce regard amoureux qu’il y a peu il portait encore sur moi et qu’aujourd’hui il va porter sur une autre.
Je suis devant mon miroir, je tente de me maquiller, mais les larmes coulent, créant sur mes joues des rigoles de mascara. On dirait un clown avant d’entrer sur la piste, un éclat de rire me surprend, rauque, puissant. Puis un autre, et encore un autre. Je ris d’un rire hystérique, je frotte rageusement mes yeux pour enlever tout ce maquillage, je me frotte la bouche pour faire disparaitre le rouge à lèvre que je venais juste de poser. Le visage ainsi barbouillé on dirait le héros de The Crow…
Je réalise à quel point c’est au-dessus de mes forces. Tout ceci n’est qu’un cauchemar, je vais me réveiller c’est sûr. Je vais me réveiller et apercevoir ma robe de mariée. Je vais me réveiller et me préparer pour mon mariage. Ce n’est pas possible autrement. J’attends, je me pince, mais je ne continue à ne voir que ce visage effrayant dans la glace. Le visage de la douleur. De quelle puissance obscure doit-on être équipée pour aller voir celui que l’on aime en épouser une autre ?
Lentement, j’attrape un coton à démaquiller, je l’applique sur mon visage. Lentement, je retrouve mes traits. Il n’y a plus de cris, plus de larmes. Juste une douleur sourde.
Parce que, je sais que je vais y aller. Je le sais depuis le jour où j’ai décacheté l’enveloppe du faire-part, depuis le jour où j’ai entouré rageusement la date sur le calendrier. Je sais que je vais y aller, je n’ai pas le choix. Parce que c’est Elle. Parce qu’une mère ne peut pas louper le mariage de sa fille.
Rhô làlà cette chute, toujours cette fameuse chute ! Encore bravo. Je ne m’y attendais pas.
Rho j’adore!!! On attend toujours la chute et on est jamais déçus!
Tu maîtrises vraiment l’art de la nouvelle: rythme, personnages attachants et vite cernés, fin attendue… Bravo!
(C’est beau Alençon a 5h du mat?
Je m’attendais à tout sauf à ça! Bravo miss!
j’adore!
Belle chute. Rrr dans quelques années je pourrai être à la place de cette femme.
Oh punaise j’ai eu des frissons à la fin
Ohlala j’aime mais jaiiiiime! Bravo!!
Héhé ! J’avais deviné la fin cette fois 🙂 Mais j’ai bien aimé quand même !!
A la semaine prochaine alors !
Décidément le talent est là!
Vivement le roman…
J’y travaille, j’y travaille !!!!
Ma bouche a dessiné un énorme O pendant 10 secondes ! Génial !
J’avoue, cette nouvelle est ma préférée !