1 vendredi / 1 nouvelle – Gildas
Retour de la nouvelle sur thème imposé. Mais cette fois-ci ce n’est pas une phrase mais un mot qui est à utiliser. Si vous avez lu la première interview « Mots de blogueuse » (si vous ne l’avez pas lu, vous pouvez la retrouver ici), vous savez que j’ai demandé à Caroline Michel (du blog www.ovary.fr) de choisir un mot pour ma prochaine nouvelle. C’est le mot « cornichon » qu’elle a choisi. J’y ai réfléchi, voici le résultat. J’espère que cette nouvelle sera digne de l’admiration que je porte à cette auteure de talent.
Gildas
Depuis combien de temps est-elle allongée avec lui ? Elle n’en a aucune idée. 30 peut-être 40 minutes. En tout cas bien trop longtemps. Il est sur elle, il est en elle, et elle, elle regarde le plafond. Il lui pétrit les seins, elle gémit de douleur, il se méprend et s’acharne de plus belle. Pourquoi s’inflige-t-elle ça depuis des mois et des mois ? Elle ne sait même plus elle-même vraiment pourquoi.
Au début, cela lui a permis de passer le cap, de mettre quelques couches de plaisir sur une couche de douleur. Mais, elle se rend bien compte qu’aujourd’hui il n’en est plus rien. Aujourd’hui il ne lui reste que les quelques secondes de jouissance pendant lesquelles elle lâchera prise et oubliera. Secondes fugaces, plaisir volatile. Une poignée de secondes sur une journée de 24 heures. Se sentir encore un peu vivante alors qu’à l’intérieur elle est comme morte.
Depuis qu’il est parti c’est chaque jour la même chose. Elle tente d’oublier dans les bras et sous les caresses d’un autre. C’est un leurre bien sûr, mais elle n’a pas encore trouvé comment faire autrement. Elle se lève chaque matin en mode automatique, elle se douche, s’habille, prend le métro pour se rendre dans la boutique de maroquinerie où elle travaille, plaque son joli sourire sur son visage et ne laisse rien paraitre. Elle ne veut surtout pas de la pitié de ses collègues. Les comment te sens-tu des premiers jours lui ont été insupportables. Question bienveillante qui résonne à ses oreilles comme un bruit de crissements de pneus et de taule froissée.
Une fois sa journée terminée, elle rentre chez elle, se change, et elle sort. N’importe quel bar fait l’affaire. Elle est belle, elle le sait, c’est suffisant.
Elle a toujours eu les regards admiratifs des hommes posés sur elle. Enfin sur elle… Sur son anatomie serait plus juste. L’esprit, lui, ne les intéressait guère. Quand on est jeune, c’est plutôt flatteur, tous ces hommes qui vous désirent, ce pouvoir que l’on a sur eux. Elle avait le luxe de pouvoir choisir celui qui lui plaisait. Mais quand on vieillit, que l’on commence à vouloir construire une relation, une de celle pour laquelle le temps passé à la verticale l’emporte sur celui passé à l’horizontale, l’atout devient handicap. Elle était à la recherche d’une histoire de cœur, ceux qu’elle croisait n’était près qu’à lui offrir une histoire de cul.
Et puis il y a eu Gildas. Le seul qui n’ait pas cherché à coucher avec elle le premier soir. Ni même le second. Il lui avait fait la cour, lui avait fait découvrir des restaurants, des musées. Ils se baladaient main dans la main, il lui racontait les lieux, il la faisait rire. Avec lui, elle était redevenue une gamine de 15 ans. Elle attendait fébrilement son coup de téléphone, se demandait mille fois par jour si elle devait l’appeler ou pas, avait peur de le brusquer, puis n’y tenant plus, elle prenait le combiné pour finalement le balancer rageusement à l’autre bout de la pièce.
Un soir, il l’a embrassé, puis ils sont montés chez lui. C’était magique, au-delà de tout ce qu’elle avait connu, de tout ce qu’elle pouvait imaginer. Elle n’était plus repartie de chez lui. Il lui apportait le petit déjeuner au lit. De la brioche et du jus d’orange. Il la regardait intensément, avidement. Elle était nue, lui aussi. Il n’en fallait pas plus.
14 mois de bonheur. Très exactement. Et puis un soir, l’attente interminable. Les dizaines de messages laissés sur son répondeur. La colère qui monte, puis l’angoisse. Jusqu’au coup de fil. Celui qui l’a à jamais brisée. Le récit de l’accident. Les détails qu’elle n’oubliera jamais. Les condoléances.
Elle lui avait remis son âme, il ne lui restait plus que son corps. Elle l’utilisait à outrance.
Ce soir encore avec un homme qu’elle connait à peine.
Les coups de rein se font plus insistants, un râle lui échappe, c’est fini. Son corps se fait lourd sur elle puis il roule sur le côté. Elle réalise qu’il n’y a même pas eu de plaisir. Ce soir, pour la première fois, elle n’a même pas pu s’échapper de sa souffrance ne serait-ce qu’un court instant.
Il se lève pour aller leur chercher un truc à manger. Il ne se rhabille pas et d’un coup cette nudité la dégoute. Elle s’assoit sur le lit, replie les genoux et remonte le drap sur ses seins rougis. Elle se demande ce qu’elle fout là.
Elle entend des bruits de porte de placard que l’on ouvre et que l’on ferme. Il lui dit de loin qu’il n’a en fait pas grand-chose à lui offrir à part un vieux pot de cornichons. Il ricane. Elle ne saurait dire si elle doit rire ou se vexer. Une clope et un cornichon, rien de tel pour mettre un point final sur cette baise foireuse.
Elle est passée de la brioche dévorée à pleine dents au cornichon qui vous colle des brulures d’estomac. De la fille que l’on aime à celle que l’on saute.
Elle réprime la nausée qui l’envahit. Nausée d’elle, de son corps, de ce lit, de tous les autres. Elle ramasse ses vêtements, se rhabille à la va-vite, balance une excuse bidon, un rendez-vous important le lendemain et se sauve de cet appartement. Elle sort dans la rue et se met à courir. L’air lui déchire les poumons, les larmes lui brulent les yeux. Elle ne sait pas où elle va mais elle ne s’arrête pas. Ses jambes se dérobent, elle persiste. Se faire mal, se faire violence, se punir. Elle trébuche, s’étale sur le trottoir, ne se relève pas. Son corps est secoué par les soubresauts des pleurs, un cri rauque s’échappe de sa poitrine. Elle est au bout, elle ne peut plus faire sans lui.
Elle entend des pas derrière elle. Quelqu’un lui demande si elle a besoin d’aide. La voix est douce. Elle lève les yeux. Il la regarde. Elle hésite un instant puis attrape la main qui lui est tendue.
Tu es une incorrigible romantique optimiste!
J’ai bcp aimé. L’histoire, la situation, le ton. Tu tiens là un beau sujet sur le désespoir amoureux, la solitude, la culpabilite et le dégoût de soi. J’aurai preferé je crois un dedale noir plutot que cette fin lumineuse, comme pour preuve que la guerre contre soi même est longue et dure…
C’était criant de vérité ton texte!
Merci bcp pour tous ces compliments !!! J’ai hesite figure toi avec une fin plus noire, sans bout du tunnel… Et puis bon…. 😉
Incorrigible 😉
Ca doit etre ca….. Les histoires qui finissent mal me laissent toujours un gout amer… La vie est assez chienne comme ca.
Moi aussi je trouve que ce texte magnifique aurait été encore plus poignant avec une fin sombre. Ça y est, c’était ma 1 ère critique, est-ce que je vais oser la valider ?
Ah mais je prends la critique !! Elle est constructive ! J’ai hesite a m’arreter avant les deux dernieres phrases… Mais c’etait trop triste..
AH… je viens faire contrepoids sur la balance… Je déteste les histoires qui finissent mal. Alors là forcément, j’aime. Très prenant comme récit, encore une fois
Merci !!! J’ai du mal aussi avec les histoires qui finissent mal.. Meme si sur le fond je suis d’accord que celle ci aurait eu plus de force en se finissant mal.. Mais je n’ai pas pu m’y resoudre. 😉
Hum hum ça mériterait une suite… hum hum enfin je dis ça je dis rien… 😉
Ah ah ! Tout ne peut pas se decliner comme juliette… Quoique… 😉
oua… triste début, mais la fin me laisse sur ma faim 😉 Heureusement que c’est un happy end!
C’est rigolo les avis sont partages entre ceux qui auraient prefere une fin noire et ceux sui aiment la touche d’optimisme.
Ah oui, chacun a ses propres goûts
Un commentaire un peu en retard cette semaine, vacances oblige …
J’avoue que j’aurais aussi préféré une fin un peu plus noire qui aurait aussi pu être très romantique … Par contre la detresse de ton héroïne est palpable et très touchante 😉
Encore un très joli texte
Merci beaucoup !!!! La fin fait debat c’est chouette en fait. Ca prouve que ca ne laisse personne indifferent.
fiuuuuuu une note d’espoir quand même à la fin ! Mais sans la main qui la récupère ça aurait été très bien aussi. Pas facile de finir une histoire comme ça
J’ai beaucoup aimé cette nouvelle ! Plus encore que celle de la semaine dernière que j’avais pourtant lu d’une traite fébrile 😉
A la semaine prochaine
Merciiiiiiiii !!! J’attendais avec impatience ton retour !! 🙂
C’est encore une fois très bien écrit, j’aime vraiment te lire.Tu fais passer les émotions, c’est magnifique.
Même si je comprends les autres, moi aussi je suis une adepte de l’happy-end, la vraie vie est bien assez moche parfois alors ça fait du bien de rêver que tout fini bien…
Je crois que les optimistes l’emportent au final !!! 😉
En vrai j’ai hesite moi aussi en ecrivant…
Merci encore pour tes compliments et ton soutien sabs faille !! <3