1 vendredi / 1 nouvelle – Partir sans se retourner
Partir sans se retourner
Elle se leva à reculons ce dimanche matin. Elle n’avait aucune envie de se rendre chez sa mère. Aucune envie de supporter ses remarques et de constater une fois encore que sa mère ne l’aimait pas. Mais c’était la fête des mères et elle se sentait obligée.
Dans la glace, elle vit l’image d’une jeune femme sure d’elle, le regard dur, un peu trop sans doute elle le savait, mais le regard déterminé.
Elle aurait pu se laisser démolir par sa mère, croire en l’image que sa mère avait d’elle. Au contraire, elle s’était toujours dit qu’elle valait mieux qu’une moins que rien, qu’elle lui montrerait, un jour. Et peut-être que ça changerait tout. Elle avait toujours eu, au fond d’elle, profondément enfoui, cet espoir qu’un jour sa mère serait fière d’elle. Qu’elle lui demanderait pardon.
Elle avait réalisé que sa mère n’avait pour elle que de la répulsion le jour où elle lui avait interdit de lui faire des câlins. Elle avait 3 ans. Elle était grande maintenant lui disait sa mère, les câlins c’était pour les bébés. La scène était restée à jamais gravée dans sa mémoire. Elle venait de se cogner à la table de la salle à manger et s’était précipitée vers sa mère pour qu’elle la prenne dans ses bras. Et sa mère l’avait repoussée. Pour la première fois ce jour-là, sa mère lui avait refusé le réconfort des bras maternels. Elle lui avait dit qu’elle ne voulait pas de ça. Elle venait tout juste de souffler sa troisième bougie.
25 ans plus tard, son cœur se serra comme à chaque fois qu’elle pensait à ce jour.
Bien sûr elle n’avait pas compris ce que cela signifiait à l’époque. Mais ensuite, les brimades, les réflexions méchantes sur son allure, sur ses amies, sur ses goûts, les punitions injustes l’avaient conduite à cette conclusion. Sa mère ne l’aimait pas.
Elle prit une douche brulante puis ouvrit son armoire pour choisir sa tenue. Mais finalement peu importait ce qu’elle pourrait porter. Sa mère trouverait toujours quelque chose à redire. Elle attrapa au hasard un jean et un chemisier. Elle remonta ses cheveux en queue de cheval et enfila une paire de tennis.
Pourquoi est-ce qu’elle s’imposait cette corvée ? Pourquoi est-ce que chaque semaine elle s’obligeait à passer voir sa mère ? Oui pourquoi… Sans doute parce qu’elle n’avait qu’elle. Sans doute parce que même une mère qui ne vous aime pas reste une mère quand même. Elle avait appris à prendre sur elle, à recouvrir son amour propre de plusieurs couches de protection blindées.
Aujourd’hui ce serait peut-être différent. Elle avait repoussé ce moment mais il était temps. Elle était enceinte de 4 mois et elle se disait qu’une fille devait pouvoir partager une telle nouvelle avec sa mère. Elle avait demandé à Tom de ne pas l’accompagner. Au cas où. Elle voulait être seule pour le lui annoncer. Elle pressentait que toutes les deux seraient alors au pied du mur et alors on verrait.
Elle regarda l’heure. Il était 10h30. Il fallait qu’elle se mette en route. Sa mère ne lui laissait rien passer, et certainement pas quelques minutes de retard.
Elle parcourut les 100 km qui la séparaient de la maison de son enfance dans une sorte de brouillard. Les souvenirs affluaient. Ce jour où sa mère avait refusé qu’elle fasse de la danse parce qu’elle était trop grosse et qu’elle avait honte de la voir dans un tutu. Ce jour où elle l’avait puni pour ne pas avoir rangé sa chambre assez vite. Ce jour où elle avait dû dormir dehors parce qu’elle était rentée avec cinq minutes de retard.
Sur une impulsion, elle s’arrêta chez un fleuriste pour lui acheter un bouquet de fleurs. C’était sa mère.
Une fois arrivée, elle prit une profonde inspiration, enfila sa carapace et frappa à la porte.
Sa mère lui ouvrit. Sans un sourire.
– Tu as encore attaché tes cheveux ? Tu sais bien pourtant que cela te grossit. A croire que ça te plait de ne pas te mettre à ton avantage
– Bonjour maman. Et bonne fête.
Elle lui tendit le bouquet de fleurs. Sa mère les prit.
– Et appelle-moi Madeleine. Tu sais bien que j’ai horreur que tu m’appelles maman. Tu as passé l’âge de ces mièvreries.
Comment une mère pouvait-elle refuser qu’on l’appelle maman ? Comment… Est-ce qu’elle ferait pareil avec son enfant ? Est-ce que ce simple mot de maman coulerait sur elle comme de l’acide ? Son enfant…
La carapace qu’elle avait enfilée se fissura. Les couches de blindage cédèrent.
– Maman, pourquoi ne m’as-tu jamais aimé ?
La phrase était sortie toute seule. Elle dut s’asseoir tant la violence de ce qu’elle venait de dire à haute voix la secoua.
Sa mère se figea. Ses lèvres étaient pincées, son regard froid.
– Allons ne dis pas n’importe quoi. Je suis ta mère.
– Tu es une mère. Mais tu n’es pas une maman.
Elle sentit les larmes lui monter aux yeux. 28 ans de sentiments refoulés. 28 ans de rejet. 28 ans d’absence d’amour. Il était temps.
– Les mamans ne se comportent pas comme ça avec leurs enfants. Madeleine. Les mamans acceptent les bisous et les câlins. Elles consolent quand leur enfant est malheureux. Elles encouragent. Elles sont fières. Tu n’es rien de tout cela. Tu ne l’as jamais été. Alors je te repose la question. Pourquoi ne m’as-tu jamais aimé ? Tu me dois bien ça.
Elle vit sa mère se crisper. Les jointures de ses mains étaient blanches tellement elle serrait les poings.
– Je ne suis pas une maman parce que je n’ai jamais voulu en être une. Mais je n’ai pas eu le choix. Ça ne se faisait pas d’avorter. Quelles que soient les circonstances. Mais tu n’as manqué de rien. Tu as toujours eu à manger dans ton assiette.
– Mais j’ai manqué d’amour ! Toute ma vie j’ai attendu un geste d’amour de ta part. Toute ma vie. Et encore aujourd’hui, je n’attends qu’une seule chose, que tu me dises que tu es désolée. Encore aujourd’hui…
Elle se leva pour se rapprocher de sa mère, tendit la main vers la sienne. Sa mère la repoussa.
– Ne me touche pas !! Quand je te vois… Tu lui ressembles tellement. Ça m’est insupportable. Sais-tu ce que c’est de porter l’enfant de l’homme qui vous a violé ? Sais-tu ce que c’est d’avoir devant les yeux chaque jour le visage de son bourreau ? Non, tu ne sais rien. Tu ne sais rien du tout. Tu ne peux pas comprendre. J’ai dû supporter sans rien dire. J’ai dû affronter les regards médisants des gens. Et chaque jour quand je te voyais je me rappelais qu’un soir alors que je rentrais à la maison un homme m’avait abimé.
Elle était étourdie par ces révélations. C’était donc ça. C’était donc pour ça.
– Mais je n’y suis pour rien maman. Ce n’est pas moi qui t’aie fait du mal. Ce n’est pas moi…
– Ne m’appelle pas maman… Oh si c’est de ta faute. Parce que tu t’es accrochée. Parce que malgré mes tentatives tu es restée en moi. Tu n’as pas voulu t’en aller. Comment pouvais-je t’aimer alors que tu venais de lui ? C’était comme une punition de plus. Il m’a fallu élever l’enfant de mon bourreau !
Comme si de rien était, sa mère se dirigea vers la cuisine pour mettre le bouquet dans un vase.
– Au revoir Madeleine…
Elle se dirigea vers la porte d’entrée les joues inondées de larmes. Elle valait mieux que ça. Ce n’était pas de sa faute. Ce n’était pas de sa faute… Son enfant méritait qu’elle s’en persuade. Son enfant… Elle allait devenir maman à son tour. Maman.
Elle ouvrit la porte et partit sans se retourner.
Ouch !! Bon … ben …. c’est dur, dur là quand même ! Certes tu excelles dans le drame, je suis incroyablement triste pour ton personnage mais … je vote pour un peu plus de légèreté pour la semaine prochaine, non ? 😉
Bravo again, bises.
C’etait l’une des dernieres histoires tristes que j’avais en tete ! Promis ensuite j’essaie de faire dans le leger !! J’aimerais bien redemarrer sur une histoire a episodes…
Oh oui, oh oui, oh oui ! J’aimai bien Carla moi. C’est ça celle de la balançoire ?
Oui c’est celle de la balancoire
Dur sujet !
J’ai adoré et je vote pour Carla la semaine prochaine…le mariage a t il eu lieu finalement, je la sentais pas convaincue ta Carla.
Reponse semaine prochaine !!! 🙂
Quelle violence! J’aime bien… !
Ce sont mes deux facettes !! Un cote romantique et un cote drame !! 🙂
Pfiouu dur dur. Et voilà pour un sujet fort sublimé par tes mots. J’aime la légèreté mais je dois bien avouer que tu excelles ici aussi 🙂 des bises
Merciiiiii !!!! Il faut bien explorer plusieurs genres ! 😉
Ou vas tu chercher toutes ces histoires pour nous les conter avec autant d’émotions…
Je ne sais pas…. Moi qui avait peur de ne pas savoir inventer des histoires je m’apercois en fait que mon imagination est sans limites !!!!!
Je lis et ne laisse pas de commentaires. Sauf quand…
C’est curieux, je sentais venir l’explication. Comment expliquer sinon le comportement de cette mère qui n’est pas une maman ?
Mais est-ce parce que ma maman (infirmière puer) m’a souvent parlé de ce genre de comportement ?
Ceci étant, comme d’autres, je veux bien avoir des nouvelles de Carla un de ces jours !
Amicalement
Marie (et ses 4 zébrillons)
La semaine prochaine !!! 😉
pfiouuuu bravo