1 vendredi / 1 nouvelle – Soir de bal
Cette semaine c’est une ritournelle qui m’a inspirée la nouvelle du vendredi. C’est ma chanson préférée de Jacques Brel. Vous risquez de l’avoir dans la tête pendant plusieurs heures… Oups… Désolée.
Soir de bal
Comme tous les samedis soirs, les amoureux de la danse se retrouvent pour virevolter au son de la musique. Valse, tango, Charleston, Foxtrot vont s’enchainer sur la piste. L’orchestre est le même chaque samedi. Seul le lieu change. Certains ont fait des kilomètres pour être là. Ils ne rateraient pour rien au monde cette petite parenthèse dans leur vie morose. Des couples. Des personnes seules qui dans un coin de leur tête et de leur cœur ne perdent jamais l’espoir de rencontrer leur moitié au détour d’un pas de deux.
Pierre est de ceux la. Lorsqu’il achète le journal chaque lundi matin, il regarde où se déroulera le bal du samedi suivant. Consciencieusement, il découpe le petit encart et le pose sur le petit meuble, dont lui a fait cadeau sa grand-mère, dans l’entrée de son petit appartement. Puis il compte les jours et les heures. Il se lève le matin, se rend à l’usine dans laquelle il travaille depuis deux ans. Il prend son poste et pendant neuf heures il fabrique des boutons. Des tonnes de boutons. De toutes les couleurs, de toutes les formes. Oui, il compte les heures qui le séparent du samedi suivant. Peut-être que cette fois-ci il rencontrera quelqu’un. Peut-être même qu’il y aura louise. Peut-être qu’il osera enfin l’inviter à danser.
Chaque soir quand il rentre chez lui, il met de la musique sur son tourne disque et il s’entraine. Tout seul devant les glaces qui sont sur les portes de son armoire dans sa chambre. Ce n’est pas facile. Il n’y a pas beaucoup de place. Mais louise elle danse bien. Alors il faut qu’il s’entraine. Peut-être qu’un jour il osera.
Il est 21h. Pierre arrive sur le lieu du bal. Comme à chaque fois, il vérifie son nœud de cravate. Il se souvient toujours de ce que sa mère disait à son père « Un nœud de cravate bien fait, c’est un homme bien mis ».
Il entre dans la salle. Les premières notes retentissent et aussitôt des dizaines de couples sont sur la piste pour leur première valse.
Il reconnaît certains danseurs et puis il la voit. Louise. Assise dans le coin de la pièce. Elle porte sa robe en mousseline bleue. Celle dans laquelle il la trouve si jolie. Elle a aussi mis ses petits gants blancs. Et puis elle a relevé ses cheveux en chignon, laissant ainsi apparaître son cou.
Comme poussé par une force invisible, Pierre s’avance vers elle. Elle est si belle.
Louise s’est assise dès qu’elle est entrée dans la salle. Quand elle est debout, elle se sent maladroite. Elle ne sait pas ce qu’elle doit faire de ses mains, si elle doit les laisser pendre le long de ses jambes, si elle doit les croiser sagement devant elle. Elle ne sait pas. Alors quand elle est assise au moins c’est plus facile. Quand elle est assise, personne ne fait attention à ses mains.
Elle attend toute la semaine ces quelques heures d’évasion. Il faut dire que les journées chez elle ne sont pas faciles. Ses parents ne lui laissent pas beaucoup de liberté. Parce que les filles comme il faut ne sortent pas tous les soirs. « Aucun homme ne voudra de toi si tu n’es pas comme il faut » lui serine sa mère. Aucun homme…
Mais le samedi soir, elle peut s’échapper. La semaine elle travaille à l’hôpital. Elle change les draps des lits, elle refait les pansements. Il y a tellement de blessés. Mais le samedi soir elle a l’autorisation de minuit. Elle peut aller danser. Son père la dépose avec l’automobile. Elle regarde dans le journal du lundi le lieu du bal. Elle découpe l’encart et elle la pose sur sa coiffeuse dans sa chambre.
Quand elle est assise, elle peut regarder ceux qui entrent. Elle regarde avec envie les couples. Elle se dit qu’elle un jour pourra aller au bla au bras d’un mari. Elle est jolie pourtant. Enfin c’est ce qu’elle croit. Beaucoup d’hommes l’invitent à danser. Mais il ne se passe jamais rien. Chaque samedi elle arrive seule.
Elle aperçoit cet homme qui comme elle est la chaque samedi. Elle le trouve beau dans son costume bleu marine. Et puis il porte une cravate. Elle aime les hommes bien mis. Elle espère à chaque fois qu’il va l’inviter mais il ne le fait jamais. Peut-être au fond qu’elle n’est pas aussi jolie qu’elle le croit. Peut-être qu’il n’aime pas ses mains.
Et puis d’un coup elle le voit venir vers elle. Elle se retourne pour vérifier, mais il n’y a personne qu’elle assise sur ce banc. Il avance d’un pas rapide et décidé et, une fois à sa hauteur, il lui tend la main. Alors, elle y glisse la sienne.
Il danse avec louise. Il n’en revient pas. Quand il a tendu sa main, elle n’a pas hésité une seconde. Et maintenant il la tient dans ses bras et la fait tourner au rythme de la musique. Il a bien fait de s’entrainer, parce que louise elle danse rudement bien. Elle est si légère en même temps que ce n’est pas trop difficile. Il compte bien les pas, il fait attention à ne pas lui marcher sur les pieds. Et puis, il lui sourit. Depuis qu’elle a glissé sa main dans la sienne il n’a cessé de lui sourire. Il a l’impression qu’il ne pourra jamais s’arrêter. Pourtant il faut qu’il lui dise quelque chose. Sinon elle va croire qu’il est stupide ou quelque chose du genre. Alors il lui dit qu’elle a de très jolies mains. Ses yeux se mettent à briller et elle rougit. Elle lui dit qu’elle aime sa cravate, que le nœud est très bien fait.
La musique s’arrête. L’orchestre enchaine sur un nouveau morceau. Louise ne semble pas vouloir retourner s’asseoir. Alors il continue à la tenir. C’est désormais au son d’un fox trot qu’ils évoluent. Peu importe en fait. Il ne quitte plus ses yeux. Il en oublie de compter les pas. D’un coup il n’y a plus personne sur la piste. Il n’y a plus que lui et louise. Il aperçoit quelques taches de rousseur sur ses joues, et quelques mèches de cheveux se sont détachées de son chignon. S’il osait il les replacerait derrière son oreille.
Louise se dit qu’elle a bien de la chance que pierre l’ait invité à danser. C’est un joli prénom pierre. Et puis il lui a dit qu’il aimait bien ses mains. D’un coup il n’y a plus que lui et elle sur la piste de danse. Elle se dit que peut-être il proposera à son père de la reconduire chez elle tout à l’heure. Peut-être même qu’il l’embrassera. Et peut-être que samedi prochain elle ne sera plus seule pour aller danser.
Lalalalala lalalala lalalala
Très joli !
Et je n’avais pas la voix de Brel dans la tête mais celle de mon mari qui la fredonne facilement 🙂
Oui cette chanson est faite pour etre fredonnee ! Je l’adore !
🙂 un vendredi qui termine en beauté avec de l’espoir dans cette nouvelle !
T’as vu elle etait gaie celle la ! Je te l’avais promis ! 🙂
il y a maintenant plus d’un an que je lis tes nouvelles, je les reçois directement dans ma boîte mail et j’adore,, pourtant je ne suis pas une grande lectrice, mais je prend beaucoup de plaisir à te lire.
cette dernière nouvelle est très belle, elle m’a donnée des frissons, tu es douée, alors fonce
Merci beaucoup !!! Cela me touche beaucoup !! Vous etes des lecteurs au top !!! 🙂
Whaou quelle jolie histoire et merci de m’avoir mis la Valse à Mille Temps dans la tête 😉
De rien !! 😉
Très jolie histoire. J’aime beaucoup la conjonction des rythmes entre la valse à mille temps et ton histoire (d’ailleurs, tu accélères moins sur la fin, ce qui permet à ton histoire de rester douce en s’arrêtant avant que les têtes ne tournent)
Je me demande ce qu’en penserait quelqu’un qui n’aurait pas la chanson dans la tête.
Quand à moi, je te l’ai déjà dit sur twitter, c’est la chanson « Le jerk » qui m’est resté dans la tête. Il ne faut pas trop chercher à comprendre.
Merci beaucoup pour ce très joli commentaire ! 🙂
j’adooooooooooore, le rythme de cette nouvelle avec la musique qui s’insinue facilement dans la tête! Et puis l’histoire et touchante, encore une victoire 😉
MAGNIFIQUE <3
Merci ma belle ! J’avoue qu’en l’écrivant j’avais la chanson en permanence dans la tête. J’ai beaucoup aimé écrire cette histoire. A la fois désuète et intemporelle. Un homme et une femme…