1 vendredi / 1 nouvelle – La lettre
Et voilà, Jenny s’en est allée. Il est temps de revenir à nos histoires uniques. Drôle ou moins drôle. Touchante ou Flippante.
Cette semaine on va faire dans l’émotion.
La lettre.
Est-ce que l’on sait en se levant un matin que l’on va mourir ? Est-ce que la mort en approche envoie des signaux ? Cette question tourne en boucle dans sa tête.
Lorsqu’elle s’est réveillée ce matin elle a eu une drôle d’impression. Comme un courant d’air froid à l’intérieur d’elle-même. Elle s’est mise à frissonner malgré la douce chaleur de sa couette. Elle est pourtant en bonne santé. A 50 ans, elle peut même s’enorgueillir de n’être quasiment jamais malade. Mais le souvenir de ce courant d’air froid ne l’a pas quittée. Elle est restée de longues minutes sous une douche brulante. Rien n’y a fait. Quelque chose n’allait pas. Elle le sentait. Comme une prémonition. C’est l’esprit préoccupé qu’elle est sortie de chez elle pour se rendre dans sa salle de danse. Elle a essayé de faire bonne figure, elle a accueilli ses élèves avec le sourire, les a félicitées pour leur progrès. Mais, au fond d’elle il y avait cette impression d’urgence, ce besoin de se libérer d’un poids qu’elle porte depuis bien trop longtemps. Près de 25 ans. Avant qu’il ne soit trop tard.
De retour chez elle, elle avait attrapé un stylo et une feuille de papier.
Ma chère Lisa,
C’est étrange de commencer cette lettre par un prénom qui n’est peut-être même pas le tien. Qui ne l’a peut-être été que quelques semaines. Ce prénom que j’ai choisi parce que je te trouvais si jolie et qu’il t’allait si bien. Je me souviens de ton petit corps fragile et de tes yeux grands ouverts. On dit souvent qu’avec le temps le souvenir des visages s’efface, que les traits s’estompent. Il n’en est rien. Je serais encore capable de dessiner les contours du tien. C’était il y a 25 ans. Et pourtant, si je ferme les yeux, c’est comme si c’était hier. Ces douleurs, ces longues heures de souffrance et puis cette délivrance. Dans les cris et les pleurs. Les tiens et les miens entremêlés. Pour des raisons différentes ou finalement pas. Tu dois être aujourd’hui une belle jeune femme. Je t’imagine épanouie, souriante et heureuse. C’est ce que j’ai toujours souhaité pour toi. Le meilleur de la vie. Et je n’étais pas celle qui pouvait te le donner. Je ne sais si parfois tu penses à moi, à cette femme qui a choisi de ne pas te garder auprès d’elle. Je ne sais même pas si tu sais. Qu’il y a eu quelqu’un d’autre. Un autre ventre pendant quelques mois. D’autres bras pendant quelques heures. Peut-être que tu m’en veux. Sans doute même. Comment pourrait-on ne pas en vouloir à celle qui vous donne la vie et vous abandonne quelques heures plus tard. Oui, c’est évident que tu dois me détester. Je me détesterais aussi à ta place. Tu te demandes sans doute si je regrette. Ou alors, tu espères que j’ai été forcée, que pendant des années j’ai remué ciel et terre pour te retrouver.
Bien sur je regrette. Mais pas dans le sens que tu imagines. Cette décision je l’ai prise seule. Elle était murement réfléchie et jamais je n’ai regretté de laisser à d’autres le soin de te rendre heureuse. Non à aucun moment je ne l’ai regretté. Parce que tu méritais mieux que moi. Parce que je ne me sentais pas capable. Ni l’instinct, ni l’amour suffisant. Je sais que je n’aurais pas su être celle dont tu aurais eu besoin. Et ca oui je le regrette. Profondément. Amèrement. J’aurais donné n’importe quoi pour ressentir cette bouffée d’amour que tout le monde décrit, ce sentiment qui m’aurait conduit sans hésiter à donner ma vie pour la tienne. Oui, j’aurais donné n’importe quoi pour ressentir cela. Mais cela ne s’est pas produit. J’ai su alors que si je voulais le meilleur pour toi, cela passait par l’amour d’une autre. Que ce meilleur là il était ailleurs. Loin de moi. Ca sonne très égoïste dit comme cela, au fond c’est peut-être le cas, mais je t’assure que je n’ai pensé qu’à toi et à ce que tu méritais d’avoir.
Pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi après tout ce temps ? A vrai dire, je ne sais pas trop moi-même. Peut-être parce que je voudrais être sure que tu ne te reproches rien. Que tu saches que ce n’est pas de ta faute, mais de la mienne. Que c’est moi qui n’ait pas pu, qui n’ait pas su. Il n’y a rien en toi qui ne méritait pas d’être aimé. C’est juste moi qui n’étais pas capable d’être aimante.
Je voudrais tant savoir que tu as mené ta vie tambour battant, sans séquelles. Je déchirerais même cette lettre sur le champ si l’on me disait que tu n’as jamais souffert de cette décision que je t’ai imposée. Oui, je voudrais tant être sure…. »
Sa main se crispe sur ces derniers mots. Elle ressent une vive douleur dans la poitrine. Puis de nouveau ce froid glacial. Sa respiration se fait plus saccadée.
Le stylo et la feuille tombent sur le sol.
Brrrr, effectivement ce n’est encore pas très gai ! De l’humour pour la semaine prochaine peut être ?? 😉
Promis !
C’est drôle, on sait comment ça va se terminer vu que tu nous préviens.
Mais on se laisse tout de même surprendre.
Et c’est une très jolie façon d’aborder le point de vue d’une maman qui n’en est pas une…
Merci ! Et cette fois pas de 2nd degre ! 😉