1 vendredi / 1 nouvelle – Aller simple
Il y a quelque chose d’un peu surréaliste à écrire cette nouvelle du vendredi. Après le drame. Après les larmes, les heures d’angoisse, le dénouement. Et pourtant la vie doit continuer. Et plus que jamais nous devons célébrer cette liberté d’expression qui est la nôtre. Pas de second épisode de Molly en revanche. Mais une histoire d’amour. Parce que je crois qu’on en a tous besoin, ce soir.
Aller simple.
Elle est assise dans le train. Dans le sens inverse de la marche. Même si elle n’aime pas ça, parce que ca lui donne mal au cœur. Elle a pris un aller simple pour Bordeaux. Un aller simple vers lui. Elle n’en revient pas de son audace. Acheter un aller simple c’est comme lui demander de ne pas prendre à l’avance tous ses rendez-vous médicaux de l’année, comme lui demander de ne pas ranger son frigo en fonction des dates de péremption. Un aller simple ce n’est tellement pas à elle. Et pourtant cette vie qu’elle voit s’éloigner de pilonne en pilonne elle sait qu’elle ne la regrettera pas. Parce qu’une minute de plus de loin de lui n’a plus de sens.
Il est assis sur le quai de la gare. Il relit le message qu’elle lui a adressé ce matin : « Je prends le train de 10h. » Rien d’autre. Il ne reçoit pas souvent de message. Sauf depuis qu’il la connaît. Il ne s’est pas vraiment posé de question. Comme si le message était clair alors qu’en réalité il ne l’était pas. Il est monté dans sa voiture en direction de la gare. Pour l’attendre. Il est seulement 12h Elle ne devrait pas être la avant une bonne heure mais il avait peur d’être en retard. Il déteste être en retard.
Elle espère qu’elle n’a rien oublié. C’est le souci lorsque l’on décide d’un voyage sur un coup de tête. On a toutes les chances d’arriver à destination avec une brosse à dent sans dentifrice. Elle regarde l’heure sur sa montre. Il reste moins d’une heure de trajet. Elle se demande s’il l’attend et puis se rappelle combien il déteste être en retard. C’est fou comme on peut connaître autant de petites choses sur une personne et ne pas savoir l’essentiel. Elle sait qu’il aime le bon pain et le fromage mais ne connaît pas l’odeur de sa peau. Elle sait qu’il aime chiner dans les brocantes mais ne connaît pas le son de sa voix. Elle sait qu’il a lu tout Balzac, sauf le père goriot qu’il n’a pas réussit à finir, mais ne connaît pas la chaleur de ses mains.
Il se demande s’il va lui plaire. Si elle ne va pas le trouver trop grand. Lui se trouve trop grand depuis toujours. Et c’est un drame parce qu’il aime les femmes petites. Il se demande si elle va lui plaire. Aimer une personne que l’on n’a encore jamais vue ça paraît impossible. Et pourtant. Il l’aime. Il en est sûr. Ses amis se moquent de lui gentiment avec cette histoire. Ils lui disent que si ca se trouve elle a trois jambes ou deux têtes. Lui pense qu’elle est parfaite. Une femme qui de Balzac n’a lu que le père goriot est forcément faite pour le compléter.
Elle s’observe dans le petit miroir qu’elle emporte toujours avec elle dans son sac à main. Elle s’est maquillée avant de partir. Elle voulait être jolie. Le mascara agrandit ses yeux de couleur noisette et la touche de rouge à lèvre qu’elle a appliquée lui donne l’air d’une femme fatale. Elle n’avait jamais osé utiliser ce tube de couleur rouge. Elle s’est dit que c’était le moment où jamais. Elle repense à leur dernière discussion. La veille au soir. Elle avait ri devant son écran. Il la faisait toujours rire. Comme elle n’arrivait pas à dormir, elle avait écouté ensuite une émission de radio. Une émission dans laquelle des auditeurs un peu désespérés appellent une animatrice compatissante et courageuse. Elle avait écouté cette femme de 55 ans se plaindre de sa solitude, demandant des conseils pour rencontrer des hommes. Elle avait écouté jusqu’au bout. Et elle avait réservé son aller simple
Dans 15 minutes elle sera là. Dans 15 minutes il la verra descendre du train. Il réalise qu’il ne lui a jamais demandé de photo d’elle. Il lui a posé des questions, juste pour pouvoir se la représenter. Et il s’est contenté de cette image inventée par son esprit. Il se dit que si ca se trouve il ne la reconnaitra pas. Elle aura fait tout ce chemin et lui sur le quai la laissera passer à côté de lui. Il espère qu’elle aura mis sa robe à fleurs. Elle lui a dit qu’elle en avait une. Il aime les robes à fleurs. Tellement plus joli que les robes unies qu’arborent aujourd’hui toutes les femmes qu’il croise.
Le contrôleur vient d’annoncer que le train va entrer en gare. Elle rassemble ses affaires. Range dans son sac le livre qu’elle a emporté pour le trajet. Hier elle avait entamé le second chapitre et corné à la page 45. Elle en est à la page 46. Une page en trois heures de trajet. Sans doute la page lue la plus lentement de toute l’histoire de la lecture de page. Elle noue son foulard autour de son cou. Un joli foulard qu’elle s’est offert pour son anniversaire. Parce que ca les foulards ca donne un petit air de Grace Kelly. Le train ralentit son allure pour finir par s’immobiliser.
Les passagers commencent à descendre du train. A cette heure de la journée ils sont assez nombreux. Des hommes pressés. Des femmes avec des enfants. Il n’a pas osé faire une pancarte comme celles que l’on voit dans les films. Il s’était dit que ça pourrait la gêner, pire, la vexer. Le train se vide petit à petit. Il commence à se dire que si ca se trouve il a mal compris le message. Peut-être voulait-elle simplement lui dire qu’elle prenait le train pour se rendre chez ses parents. Il essaie de se rappeler. Si elle lui a parlé de l’anniversaire de sa mère ou du mariage d’une cousine. Alors qu’il commence à se sentir idiot de sa méprise, il la voit.
Elle a mis sa robe à fleurs. Ce matin lorsqu’elle a choisi sa tenue, elle s’est souvenue qu’il les aimait. Même s’il fait un peu froid pour une robe à manches courtes. Quand elle descend du wagon, elle voit un homme s’avancer vers elle. C’est lui. Oui bien sur que c’est lui. Il marche comme elle se l’était imaginée. Une démarche assurée. Une démarche rassurante. Elle réalise que dans quelques secondes elle entendra le son de sa voix pour la première fois.
Il est devant elle. Finalement il a bien compris le message reçu. Elle a pris un train pour venir le voir. Elle lui sourit. Un sourire timide et incroyablement séduisant. Il la trouve jolie. Elle ne ressemble pas à ce qu’il s’est imaginé. Elle est encore mieux. Il s’approche jusqu’à être tout près, jusqu’à pouvoir presque entendre la rapidité de son cœur qui bat. Il lui prend la main.
Elle le trouve si beau. Et grand. Elle aime les hommes grands. Et il sent bon. Elle reconnaît l’odeur du parfum qu’elle lui a envoyé pour Noel. Il lui avait dit qu’il l’aimait beaucoup mais elle n’en était pas vraiment sure. Elle n’avait jamais été douée pour choisir des cadeaux. Quand il lui prend la main, elle a comme des papillons dans l’estomac. Sa main est douce et chaude.
Est-ce que l’on sait lorsque l’on rencontre son âme sœur ? Il se l’est toujours demandé. Pour ne pas nourrir de faux espoirs, il avait fini par se dire que cette histoire d’âme sœur c’était des foutaises, que cela n’existait que dans les contes de fée. Bizarrement, alors qu’il tient sa main dans la sienne, il ne se pose plus la question. Il y a des évidences qui se passent de commentaires. Qui se vivent tout simplement. Il se penche vers elle, de sa main relève délicatement son menton et il l’embrasse.
Son baiser manque de la faire chavirer. C’est comme si elle embrassait pour la première fois. Pourtant elle a connu des histoires. Plus ou moins longues. Plus ou moins réussies. Elle a été embrassée. Des tas de fois. Mais ce baiser la est comme le premier. Elle voudrait qu’il ne s’arrête jamais. Elle et lui. Plus rien d’autre n’existe. Leurs deux corps n’en font plus qu’un. Leurs deux vies entrelacées. Un aller simple pour le bonheur. Un aller simple pour l’éternité.
Oh, que ça fait du bien ! Merci.
Oui hein !! Je trouve aussi !! Comme le disait la philosophe lorie « moi j’ai besoin d’amouuuuuuuuuuur, des bisous, des calins, j’en veux tous les jouuuuuuuuuurs, j’suis comme ca » 🙂
Magnifique et effectivement, on en avait besoin !
Merci
Voila ! De l’amour simple et rafraichissant !