La Boum, avec du presque premier baiser dedans
Elle regarde avec un air satisfait l’endroit dans lequel va se tenir le premier événement majeur de son adolescence, sa première boum.
Boum, vestige des années 1990 regroupant des filles et des garçons, chacun de leur côté du mur. Les unes gloussant et jetant des regards qu’elles essaient de rendre suggestifs vers les uns qui cherchent le courage de les approcher pour si possible en emballer une.
Elle a 12 ans, un début de peau acnéique, un look improbable mais chance, pas d’appareil dentaire.
Elle a obtenu l’accord de ses parents pour faire de leur garage le lieu d’accueil d’une petite quinzaine de collégiens aux hormones en ébullition, tout aussi acnéique qu’elle heureusement.
Elle a balayé, balayé et balayé jusqu’à ce que l’on puisse manger par terre, enfin si l’on n’est pas très regardant. Elle a installé au fond la table sur laquelle seront disposés les bouteilles de coca, de jus d’orange, les paquets de gâteaux et de chips. Point de punch au rhum, 12 ans je vous rappelle.
Au plafond une boule à facettes, destinée à créer l’ambiance.
Les invités arrivent, 50 bises plus tard, la fête peut commencer.
Comme convenu, les filles gloussent de leur côté et consolent l’une des leurs qui vient de se faire larguer à coup de « ouais de toute façon c’est trop un gamin ».
Les garçons débutent dans leur coin un concours de coq pour savoir qui osera le premier faire quelque pas vers le milieu du garage, en passant par le buffet histoire de se donner une contenance un verre d’oasis à la main.
Elle met de la musique, elle éteint la lumière. Il est 14h30, il fait nuit en plein jour et c’est trop cool.
Tout le monde finit par danser, ou en tout cas gigoter sur de la musique carrément trop bien. Jusqu’au moment des slows ou chaque mur retrouve ses occupants, toujours classés par genre sexuel.
Bref une boum qui ressemble à n’importe quelle boum.
Et bien non !
Parce que le soir venu, les collégiens aux hormones en folie et désormais en sueur d’avoir dansé dans ce garage absolument pas prévu pour, vont rester pour dormir. C’est une boum pyjama. Et ça, ça en jette.
On gonfle les matelas, on installe les duvets, le long des murs, garçons et filles mélangés, miracle d’une après-midi de confinement.
Elle installe son matelas à côté de celui qui fait battre son petit cœur. Appelons le John pour préserver son anonymat (en réalité il s’appelle Jean-François mais ça fait descendre d’un coup le potentiel érotico-girly-adolescentesque de l’histoire).
Quelqu’un éteint la lumière, il est l’heure de dormir. Il doit être au moins 22 heures.
Et puis soudain, elle sent John qui se rapproche d’elle. Tout près. Si près qu’il finit même par coller sa bouche sur la sienne. Une pelle, une vraie. Aussi inattendue qu’un frigo plein chez un mannequin de chez Asos. Là dans le garage de ses parents.
L’échange de salive dure au moins deux minutes, jusqu’à ce que quelqu’un, sombre petit con, pour on ne sait quelle raison, rallume la lumière. C’est toujours comme ça.
John s’éloigne, ses lèvres aussi.
Pourtant, son esprit s’emballe. Ce baiser c’est pour elle la perspective d’un « ouais John c’est mon mec, on est ensemble depuis deux jours, Je suis grave amoureuse ».
Le lendemain, au lever du soleil, elle tente de s’approcher de lui, pour étaler au grand jour et devant les yeux de toutes ses copines le bonheur de leur idylle.
Mais John n’est pas de cet avis. Il ne la calcule pas. Pire, lorsqu’elle lui reparle de leur rapprochement labial, il nie. Ce n’était pas lui. Jamais il n’aurait fait ça. Il rigole même.
Faut croire qu’elle est embrassable dans le noir à l’abri des regards mais qu’en plein soleil elle redevient un peu moche et un peu grosse.
C’était son premier baiser à elle, le premier vrai, celui avec la langue et tout et tout.
Mais est-ce que l’on peut considérer ça comme un premier baiser lorsque l’autre partie à l’affaire ne veut pas y être associé ?
Peut-être faut-il voir dans cette histoire l’explication de l’amour inconditionnelle de cette adolescente aujourd’hui femme, appelons la Mademoiselle C pour préserver son anonymat, pour les comédies romantiques ? Amour inconditionnel qui la conduit à céder à l’appel du visionnage de coup de foudre à Notting Hill qu’elle a pourtant vu au moins mille fois.
Traumatisme du presque premier baiser.
Allez sans rancune John.
Et j’espère que tes pieds sont bourrés de verrues !
Trop bien !
Alors c’est ça ! En fait, dans le noir, je me suis trompé de fille… Je me demandais pourquoi cette garce de Sophie ne me calculait pas le lendemain !
A cause d’elle, j’ai subi une énorme perte de confiance en moi et j’ai fini par connaître par cœur « Nuits blanches à Seattle ».
Néanmoins, mes pieds sont exempts de verrues. Je viens de vérifier.
Tant mieux pour tes pieds !! Et pour Mademoiselle Elle ! 😉